Goldoni ? c’est la JOIE : la joie de vivre, la joie de rire, de dire, et de médire. D’entrée, la question de Beatrice et la réponse de Checchina donnent le ton :
BEATRICE. – Alors, jolie petite épouse, vous êtes heureuse ?
CHECCHINA. – Oh dame oui, comment je pourrais ne pas être heureuse ? Je suis fiancée !
C’est la joie partagée du mariage qui se prépare :
PATRON TONI. – Noces, noces, Checca, ma fille, réjouissons-nous !
PANTALON. – Ma filleule, tu es mon bonheur !
Il y a toutefois d’autres sujets de réjouissance dans la comédie de Goldoni, et ils sont beaucoup moins innocents ! Car on s’y réjouit, très souvent, en se moquant d’autrui. Les pauvres Arlequin et Lelio en font les frais, Dame Beatrice et Dame Eleonora s’en donnant à cœur joie :
ELEONORA. – Quel étrange animal ce Lelio ! Pas un sou et il fait le seigneur ! Un ignorant qui fait le savant ; un affreux qui fait le beau ! Cela dit, dans tous les salons, on a ce genre de grands ridicules et pour nous les femmes, c’est un vrai bonheur de les « arranger » comme il convient.
Mais ce Lelio précisément, n’est pas en reste pour s’amuser : sa vie est un jeu, un spectacle permanent, un bal masqué où il se figure que toutes les femmes sont amoureuses de lui. On dirait Bélise dans les Femmes Savantes, en plus gai.
Autre bonheur, et de taille : les commérages, ragots, cancans et médisances en tout genre, dont Sgualda et Catte sont les spécialistes, et avec quelle jubilation, quelle gourmandise !
SGUALDA. – Après tout, c’est pas sa fille.
CATTE. – C’est quoi ce que tu dis là ? Checca n’est pas la fille de Patron Toni ?
SGUALDA. – Attends, d’abord donne-moi ta parole d’honneur de ne rien dire.
CATTE. – Sur la tête de Venise !
SGUALDA. – Attention, personne d’autre au monde que toi n’est dans le secret.
CATTE. – Tu ne risques rien avec moi. Tu sais la femme que je suis.
SGUALDA. – Checca n’est pas la fille de notre cousin.
CATTE. – Non ? C’est pas vrai ? Dis-moi, oh la la, de qui c’est la fille ?
Et le spectateur se délecte avec elles, sans arrière-pensée, rit de leur agilité verbale, de leur férocité, de leur vivacité : il se prend à rêver d’être capable d’en faire autant… C’est si drôle de dire du mal des autres : qui ne se complait à ce petit jeu là ? Tout est décidément réjouissance chez Goldoni…
Alors ? Pas très moral, ce théâtre ! Quand on sait les méfaits de la calomnie, ne serait-il pas plus profitable de s’entendre répéter qu’il faut à tout prix l’éviter ? Sauf que… si le mieux était d’en rire ? Il y a sans doute une fonction cathartique de la comédie satirique : quand on a vu l’Avare de Molière, qu’on a ri de ses ridicules, on n’a plus envie d’être avare. Quand on a vu les Commères de Venise, qu’on s’est moqué de leur petitesse, de leur méchanceté, et qu’on a eu son content de ragots, on a sans doute moins de goût et d’appétit pour la médisance.
Essayez ! Venez voir nos Commères : je parie que vous rirez bien, et que vous n’aurez même pas l’idée d’en dire du mal !
Véronique Maas, le 17 novembre 2021