Compagnie Cap Sur Scène

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Écoutons Paul Claudel...

    


Paul Claudel, « Religion et poésie » (1928) in Réflexions sur la poésie, Folio Essais p182 à 185

 

« […] Parmi les secours et les profits que la Religion apporte à la poésie, j’en indiquerai trois.

     Le premier est que la foi en Dieu permet la louange. La louange est peut-être le plus grand moteur de la poésie, parce qu’elle est l’expression du besoin le plus profond de l’âme, la voix de la joie et de la vie, le devoir de toute la création, celui en qui chaque créature a besoin de toutes les autres. La grande poésie depuis les hymnes védiques jusqu’au Cantique du Soleil de saint François est une louange. La louange est par excellence le thème qui compose. Personne ne chante seul. Même les étoiles du ciel, lisons-nous dans les Livres Saints, chantent ensemble.

     La Religion non seulement nous apporte le chant, elle nous apporte aussi la parole. [Elle apporte] dans le Monde non seulement la joie mais aussi le sens. Puisque nous savons que le monde n’est pas l’ouvrage du Hasard ou de forces naturelles aveugles et se cherchant à tâtons, nous savons qu’il a un sens. Il nous parle de son Créateur, il nous donne les moyens de comprendre son œuvre et en tout cas de l’interroger et de lui payer nos dettes. Il nous conduit vers Lui par beaucoup de voies merveilleuses. […]

     Le troisième avantage que nous apporte la Religion est le drame. Dans un monde où vous ne connaissez le oui et le non de rien, où il n’y a pas de loi, morale ni intellectuelle, où toute chose est permise, où il n’y a rien à espérer et rien à perdre, où le mal n’apporte pas de punition et le bien pas de récompense, dans un tel monde il n’y a pas de drame parce qu’il n’y a pas de lutte, et il n’y a pas de lutte parce qu’il n’y a rien qui en vaille la peine. Mais avec la Révélation Chrétienne, avec les immenses et énormes idées du Ciel et de l’Enfer qui sont autant au-dessus de notre compréhension que le ciel étoilé est au-dessus de nos têtes, les actions humaines, la destinée humaine, sont investies d’une valeur prodigieuse. Nous sommes capables de faire un bien infini et un mal infini. Nous avons à trouver notre Route, conduite ou égarée, comme des héros d’Homère, par des amis ou ennemis invisibles, parmi les vicissitudes et les péripéties les plus passionnantes et les plus imprévues, vers des sommets de lumière ou des abîmes de misère. Nous sommes comme les acteurs d’un drame très intéressant écrit par un auteur infiniment sage et bon où nous tenons un rôle essentiel, mais où il nous est impossible de connaître d’avance la moindre péripétie. Pour nous la vie est toujours nouvelle et toujours intéressante parce qu’à chaque seconde nous avons quelque chose de nouveau à apprendre et quelque chose de nécessaire à accomplir. Le dernier acte, comme dit Pascal, est toujours sanglant, mais aussi il est toujours magnifique, car la Religion n’a pas seulement mis le drame dans la vie, elle a mis à son terme, dans la Mort, la forme la plus haute du drame, qui pour tout vrai disciple de notre Divin Maître, est le sacrifice. »